Un état des lieux
Peut être qu’un jour, grâce à la magie de l’internet, nous serons surpris de découvrir qui était réellement R.T., cet inconnu qui a fait le tour du monde et qui a posé devant les paysages emblématiques du tourisme. Bruno Rosier a fait la connaissance de cet homme un jour de 1992, en achetant aux puces un vieil album de photographies datées de 1937 à 1953. Pas de nom, pas d’adresse, pas d’autre protagoniste que ce monsieur certainement fortuné, au physique ordinaire, qui disons le, manque parfois d’élégance. Il pose seul devant l’objectif, a-t-il mis en marche le déclencheur automatique ? Demande t-il à son majordome de faire le cliché ? A-t-il recours à un passant ? Nous ne le saurons pas. Nous ne disposons que d’un indice. Un R et un T qui se suivent et qui semblent signer les images, probablement les initiales de ce personnage.
R.T., sans le savoir allait inspirer la performance d’un plasticien, qui cinquante ans plus tard allait revisiter ces images en revenant sur les mêmes lieux. Faire la même image et la mettre en vis avis avec l’originale. L’exercice est passionnant, il demande de la patience et de la persévérance. Ce travail de Bruno Rosier est exposé depuis 2004 : après Paris, Lima, New York, Toronto, le voici à présent et jusqu’au 23 mars 2008 au Château de Suze la Rousse dans la Drome.
Cette actualité nous donne l’occasion d’évoquer ce petit livre qui apporte sa contribution à l’histoire de la photographie en mélangeant trois concepts : la photo trouvée, la répétition et l’autoportrait.
– La photo trouvée a le vent en poupe depuis quelques années, on citera l’installation du plasticien belge Guillaume Bijl, qui présentait en 2004 au Jeu de paume 185 photos importantes et moins importantes de la seconde moitié du XX eme siècle, 1986-1996, un ensemble de clichés d’anonymes que l’artiste considérait comme « le décor de mon temps ». En 2005 l’américain Robert Flynn Johnson présentait une série de 220 photos d’anonymes aux Editions Thames & Hudson puis en 2006 Michel Frizo et Cédric de Veigy publiaient 20 ans de photos chinées sous le titre photo trouvée. Ainsi depuis quelques années la photographie d’amateur sort de ses cartons pour s’afficher dans les livres, les musées et les galeries. Bruno Rosier lui s’en sert comme d’un support à un exercice de réédition. Il ne s’agit pas d’un enjeu spéculatif mais d’une invitation au voyage, un voyage bien réel, un transport sur les lieux, un travail de détective presque.
- Il y a deux ans Cédric Helsly présentait son marcheur, une série originale qui pourrait être présentée en parallèle aux images de Bruno Rosier, dans le sens où la distance entre le personnage et le photographe est assez semblable et la connivence palpable. Entre Pologne et Ukraine, un homme, toujours le même, habillé d’un pull rouge (qui contraste avec es paysages verdoyants), traverse d’un pas très décidé les champs et les routes. Ce marcheur est aussi un voyageur mais il fuit les hauts lieux du tourisme. Toute la puissance de cette série réside dans les couleurs, le pas exagérément décidé du marcheur et la répétition de la situation. On retrouve chez Bruno Rosier cette mise en scène qui veut reproduire la pose d’origine en grossissant les traits, si elle était « naturelle » chez R.T., elle est mimée chez Bruno Rosier.
– Enfin en prenant R.T. comme prétexte Bruno Rosier agrandit la liste des artistes qui se sont penchés sur eux mêmes face à un objectif. On citera Cindy Sherman qui a construit sa carrière depuis 1976 sur sa propre personne, en se grimant, se déguisant et se rendant méconnaissable. Le travail de Gilbert Garcin vient aussi à l’esprit, ce photographe compose une douzaine de tableaux photographiques par an, où il se met en scène. Toujours habillé d’un pardessus gris, il rend visite à l’art, à la psychologie, à la mythologie.
Bruno Rosier sur les traces de R.T. dans « Un état des lieux » est un savant mélange de ces différentes démarches que l’on retrouve dans la création artistique mais il crée en plus le concept de juxtaposition qui pousse le spectateur à regarder les deux images qui se répondent à 50 ans d’intervalle, à scruter le travail du temps et de l’homme.
La photographie a la faculté d’arrêter le temps en 1/1000 ème de seconde, à 50 ans d’intervalle, au même endroit ! Ce livre regorge de cette magie malicieuse et c’est un plaisir que de s’y attarder et d’y revenir.
Le site de Bruno Rosier http://www.aproposdumonde.org
Un état des lieux
Lieux Dits
21 x 21 cm,
80 pages,
50 photographies n&b
Prix : 25 €
ISBN 2914528086