Travelers - Walter Martin & Paloma Muñoz
Dans leur maison de Pennsylvanie, Paloma travaille à l’étage et Walter au sous sol. Lui fabrique des décors miniatures et elle s’occupe de les prendre en photo. Ce couple d’artistes américano-espagnol expose depuis 1994 mais depuis l’année 2000 ils construisent sans relâche un univers étrange qu’ils enferment dans des petites boules de verre remplies de liquide et de faux flocons de neige. Avec le temps les boules s‘agrandissent pour accueillir des iles énigmatiques, parfois terrifiantes.
Le manteau blanc qui recouvre de grandes étendues de la terre en hiver les fascine. Depuis leur déménagement de New York vers l’état de Pennsylvanie au cours de l’année 2000, ils ne cessent d’inventer des contes qu’ils mettent en scène à l’aide de personnages miniatures, achetés dans des magasins de modélisme ou sur des sites internet spécialisés. La particularité de ces petites histoires tient dans le fait que l’action se déroule dans un paysage recouvert de neige. Cette obsession des paysages froids et glacés se retrouve dans leur parcours personnel. Walter Martin qui est né en 1953 à Norfolk, a été attiré très jeune par la neige, au point qu’il a passé son adolescence dans un pensionnat, dans le Colorado où l’on pratiquait intensivement le ski. Pour Paloma Muñoz qui est née en 1965 à Madrid, la neige a été absente des paysages de son enfance mais elle a toujours fait partie de l’univers des contes de fée qui la faisaient rêver. Elle s’est fait une idée de la neige à travers des illustrations de livres qui ont peuplé son imaginaire et aussi à partir d’une boule de verre qui appartenait à sa grand-mère et où flottaient de faux flocons quand on la retournait.
Qui n’a pas rêvé, enfant, de pénétrer au sein d’une de ces boules pour aller à la découverte des habitants de ces monuments ou de ces paysages ? Le couple d’artistes a emménagé en hiver dans leur maison de Pennsylvanie, la vue de leurs fenêtres sur des étendues blanches, leur histoire personnelle (ils se sont rencontré en 1993 au cours d’une tempête de neige) et leurs rêves d’enfance sont autant d’éléments qui ont opéré un mélange créatif donnant naissance à un art qui se retrouve exposé depuis quelques années dans les plus grandes galeries internationales.
La réalisation d’un tableau, car c’est véritablement une composition picturale avec un lieu, une histoire et des personnages, demande près d’un mois de travail, aussi Walker Martin produit 10 a 12 pièces par an. Paloma Muñoz qui rêvait de visiter la boule de verre de sa grand-mère, armée de son Mamiya, mitraille les compositions de son compagnon. Elle retravaille ses photos à l’aide d’un ordinateur et produit 10 à 12 images par an ! L’originalité de leur démarche tient dans le fait qu’il y a deux œuvres d’art, l’une sous forme de boule de verre de petite taille en trois dimension qui a sa propre existence mais qui se retrouvera chez un collectionneur et l’autre sous forme de photographie avec un angle de vue, un éclairage, une profondeur de champ et un traitement des couleurs que notre œil n’aura jamais l’occasion de réunir et que chacun pourra contempler dans un livre ou sur internet.
Les éditions Aperture rassemblent avec bonheur, dans un opus intitulé Travelers, leurs séries sur les boules de verre et les iles. On regarde chaque image avec délectation. Il y a là un esprit proche des surréalistes, on pense en feuilletant ce livre à un dessinateur comme Topor, à un photographe comme Gilbert Garcin, dans des scènes comme celle, où deux hommes au chapeau se croisent en se saluant mais pour l’un des protagonistes, sa tête se décroche avec son chapeau. Il y également des références à la peinture de Bruegel avec des arbres décharnés, des paysages glacés, des hommes faisant corps avec un arbre, d’autres qui se terrent dans des trous. Ces historiettes font parfois sourire comme cette femme qui balaye les flocons qui tombent inlassablement sur un rocher, ou celle qui dort paisiblement dehors, sous la neige par une nuit noire glacée, épaules nues dans un grand lit blanc. D’autres sont plus effrayantes comme cette araignée géante qui attrape des gens perdus dans la montagne, ou ces gros bonshommes débonnaires qui jettent dans un puits des enfants qui se débattent. Il y a aussi ces scènes d’exode, d’arrestation, de fouille, d’exécution sommaire, qui semblent être le miroir de notre propre société devenue malade. On assiste impuissant à un spectacle de chasse à l’homme où l’homme est le prédateur de sa propre espèce.
Il est amusant enfin de noter qu’il est de plus en plus fréquent dans la photographie d’utiliser des figurines, des petits soldats. On retrouve par exemple dans le travail de Thomas Doyle, des figurines, des cloches de verre et des scènes inquiétantes , chez Paolo Ventura dans la sérieSouvenirs de guerre on ressent le même trouble devant des scènes d’exécution et d’homme pendu. Slinkachu avec sa série Little People in the City est moins grave tout comme Little galerie qui se revendique être un espace dédié à la culture et à l’actualité vue par les minuscules et qui fait souvent appel à des timbres poste en plus des miniatures. Les fabricants de ces personnages qui sont faits pour peupler les gares en modèle réduit n’ont jamais dû envisager que leurs miniatures prendraient tant d’importance dans le domaine de la créativité et de l’art, engendrant un autre monde encore différent de Second live.
Le site internet de Walter Martin & Paloma Muñoz
Travelers
Walter Martin & Paloma Muñoz
Relié : 96 pages
Editeur : Aperture (7 août 2008)
Langue : Anglais
ISBN-10 : 1597110736
Prix : 35€