Réalisme et abstraction dans le noir et blanc de Mario Giacomelli
Ce livre édité en France en 2002 revient en librairies à l’occasion de l’exposition consacrée à Mario Giacomelli, qui se tient sur le site Richelieu de la BNF. Cette nouvelle version brochée, à un prix abordable, est abondamment illustrée. Autant l’exposition est avare d’explications, autant ce livre est riche d’informations. Alistair Crawford en a rédigé une longue introduction. Mario Giacomelli qui est décédé en 2000, travaillait par séries. Ici plus de 32 séries nous sont présentées avec des commentaires pour chacune.
Ce photographe peu ou pas connu du grand public français est atypique. Il ne veut rien connaître de la technique photographique, ne s’intéresse absolument pas aux appareils photos. Il utilise presque toujours un appareil Kobell si usagé qu’il est entouré de ruban adhésif. Il réalise personnellement tous ses tirages. Né en 1925 dans une famille pauvre dans le village de Senigallia dans la région de Marches, Giacomelli n’a aucune prédilection pour la photographie. Quand il achète son premier appareil photo il se rend compte qu’il peut figer le temps, en bougeant l’appareil. Il découvre également qu’il peut modifier la réalité d’une vision classique. Il ne quittera presque pas son environnement immédiat pour construire son œuvre, à l’exception de Lourdes où il se rend la première fois avec son fils handicapé et la seconde fois seul pour terminer la série. Il passe environ trois ans sur chaque série. Il se considère comme un imprimeur, son métier et pratique la photo dans le cadre de ses loisirs. Il passe trente minutes à photographier quelques enfants gitans il se voit refuser le droit de photographier les autres membres de la communauté. Il passe par contre toute sa vie sur la série « Prise de conscience la nature » qui représente des parcelles de champ, vues de haut.
Il déclare « Le temps est sans cesse en mouvement, dans mon appareil, dans les champs, dans la rue ; le temps m’effraie, c’est le sujet de mes photos ». La photo est le meilleur moyen d’arrêter le temps un instant. Le temps qui passe est le sens de la vie, c’est également la vieillesse, l’approche de la mort. Sa mère qui l’a élevé seule quand son père est décédé alors qu’il n’avait que 9 ans, travaillait dans un hospice pour personne âgées. Enfant il a été saisi par l’odeur et l’ambiance de cet hospice. Il montre sans concession et de façon très réaliste la déchéance des corps. Il utilise volontairement un flash pour faire « plus d’ombres noires ». Il n’a pas envie de devenir comme eux. Ces photos les plus connues sont certainement celles de la série qui illustre la couverture de cet ouvrage, une série réalisée dans un séminaire où des jeunes séminaristes tout de noir vêtus, jouent et font la ronde dans un pré couvert de neige.
Toutes les photos présentées sont en noir et blanc, il n’hésite pas à hyper contraster les tirages créant un effet inhabituel qui déforme la réalité. Pour obtenir les effets désirés, il utilise parfois des pellicules périmées notamment dans sa série « Prise de conscience la nature ». Le résultat est unique, avec ses prises de vue aériennes de champs qu’il a fait labourer, selon ses plans. On peut le considérer comme un précurseur du Land Art. Les images crées ressemblent à des tableaux. Sans le savoir il a capté un graphisme parfois étrangement proche des œuvres en couleur du peintre Alberto Burri qu’il rencontrera en 1968. De l’image réaliste qui montre des processions d’handicapés sur des fauteuils à Lourdes, on passe à des images conceptuelles et abstraites dans la série « Avis » et « L’infini » notamment, où il présente des fils de fer tordus, des images superposées et des photos avec des traînées floues. Il ne va pas jusqu’au bout de la série « abattoir » où il est confronté directement avec la mort. Les animaux crient, ils comprennent ce qu’il va leur arriver, Giacomelli ne supporte pas cette souffrance. La dimension poétique de son oeuvre est aussi due à sa façon d’illustrer des poèmes en créant son propre discours photographique. Il utilise ainsi des textes de Giacomo Leopardi, Eugenio Montale, Francesco Permunian. On retrouve toutes les angoisses et les variations de son œuvre. dans la série « Ma tête est pleine maman » d’après un poème de Francesco Permunian, un enfant lance un appel pathétique à sa mère constatant que l’humanité est malade et condamnée à souffrir.
Phaïdon (Editeur)
Mario Giacomelli (Photographe)
Parution : 01/01/2005
25 x 29 cm, 428 pages
ISBN : 0 7148 942
Prix : 45 euros