Khaldei, un photo reporter juif en URSS
Un photographe de l’agence Tass suit les troupes de l’Armée rouge pendant toute la seconde guerre mondiale. Les Editions du Chêne, en publiant cet ouvrage de Mark Grosset, apportent un éclairage très intéressant sur l’histoire de la photographie mais également sur l’histoire en général.
Mark Grosset, en raison de sa passion pour les photographes russes et grâce sa ténacité, a réussi un très beau livre. Il révèle ainsi à un large public, la vie et l’œuvre d’un grand photographe du XX ème siècle. Le nom de Khaldei n ‘évoque rien aux oreilles des néophytes. Par contre, la description de la photo qui montre un jeune soldat installant le drapeau soviétique sur les toits du Reichstag, parle à notre inconscient. Cette image vient immédiatement à l’esprit. Elle symbolise la libération de Berlin par les troupes soviétiques le 2 mai 1945 ; cette photo a acquis le statut d’icône, Evgueni Khaldei en est l’auteur.
Mark Grosset explique qu’il y a en union soviétique vers le milieu des années 1930 trois courants photographiques :
. Les constructivistes avec Alexandre Rodchenko, cherchent une nouvelle voie pour la photo et ose des cadrages jamais réalisés.
. Les pictorialistes avec Alexandre Grinberg, prônent le classicisme et qui est critiqué par les révolutionnaires.
. Les photo journalistes représentés entre autres par Akadi Shaikhet, sont pour une photo simple qui doit être facilement comprise.
Le pouvoir en place décrète que, seul le photo journalisme à sa place, Khaldei sera donc de cette école. Il travaille dans cet état d’esprit pour le parti. Il lui arrive d’avoir des visions photographiques. Pour les réaliser, il n’hésite pas, soit à mélanger des images qu’il a en réserve, soit à mettre en scène l’image. Il ne s’en cache pas. Mark Grosset nous apprend ainsi que la fameuse image du jeune soldat installant le drapeau soviétique sur les toits du Reichstag, est inspirée d’une photo américaine. C’est une image de Joe Rosenthal, faite pendant la guerre des Etats Unis contre le Japon où l’on voit quatre soldats américains planter le drapeau étoilé sur un talus. Khaldei confectionnera trois drapeaux et fera des essais à plusieurs endroits dans Berlin, l’aéroport de Tempelhof, la statue de la porte de Brandebourg, les toits du Reichstag. Il choisira cette dernière mais au moment de sa publication, on lui fera remarquer que le soldat qui aide le porte drapeau a une montre à chaque poignet, signe évident de pillage. La photo sera retouchée. Elle fera ensuite le tour du monde.
Khaldei dénonce le nazisme, en montrant les horreurs de la guerre. Il ne cesse de croire en un homme meilleur et un monde meilleur. Il ne montre pas, ne photographie pas les souffrances des soviétiques sous les différents régimes de dictature communiste. Il se refuse de témoigner en image les persécutions des juifs dont il est lui-même victime, et ce, bien après la seconde guerre mondiale. Sa vie est un roman dramatique, avec ses parts de bonheur et d’immense tristesse. Son œuvre photographique est une fresque historique unique. Il a un sens aigu du cadrage. Il parlait souvent avec les gens qu’il prenait en photo. Il lui est arrivé de lancer des avis de recherche dans la presse pour retrouver des personnes qu’il avait prises en photo pendant la période de la guerre.
La qualité de ce livre tient énormément aux explications et commentaires de Mark Grosset. Il travaille actuellement à la mise en valeur du patrimoine photographique russe.
Il a fait redécouvrir Khaldei en France au festival Visa pour l’image de Perpignan en 1995. Mark Grosset a été quatre fois membre du jury du World Press Photo et président de ce jury en 2000. Il est également directeur des études de l’école photographique Icart-Photo (Levallois).
Biographie
Il naît en 1917 dans le sud de l’Ukraine à Lossovka, ville qui deviendra Stalino, puis de 1964 à nos jours, elle prendra le nom de Donetsk. Il est issu d’une famille juive qui, le 13 mars 1918, sera victime d’un pogrom. Son père et son grand-père tiennent une épicerie. Il n’a qu’un an quand des voisins armés de fusils font irruption dans leur maison. Ils tuent une domestique, une amie de la famille, son grand-père et sa mère qui cherchait à le protéger. La balle qui a tué sa mère et qui lui a traversé le corps, est venue, en fin de course se loger dans le poumon droit du bébé. Il s’en sortira miraculeusement et sera élevé par ses grands-parents maternels.
A 13 ans il travaille à l’entretien et au nettoyage de locomotives. A 15 ans il fabrique son premier appareil photo avec une boite en carton et un lorgnon de sa grand-mère. Il réalise sa première photo avec cette boite : la cathédrale de Stalino. Il rêve déjà d’immortaliser des grands évènements dont il voit les photos dans des magazines.
A 18 ans il travaille comme photographe pour la revue Sovietskii Donbass, le rédacteur en chef de cette revue est juif, il est déporté au goulag. Khaldei décide alors d’envoyer ses photos à l’agence Tass.
A 19 ans il est invité à rejoindre cette grande agence à Moscou. Il est formé par les plus grands photographes de l’époque. De 1937 à 1939 il effectue son service militaire à Dalnivostok. Il est engagé par l’agence Tass en 1939 pour suivre les troupes de l’Armée rouge à travers toute l’Europe. Il ne possède comme matériel qu’un FED (copie soviétique du Leica) ; l’agence Tass va lui procurer un véritable Leica. C’est avec un statut officiel de soldat qu’il photographie les ravages de la guerre. Ne faisant confiance à personne, il préfère développer lui-même ses pellicules et tirer ses photos, au prix d’exténuants allers et retours sur Moscou. D’autres photographes en profitent pour lui confier leurs pellicules. Chose surprenante, il rencontre Robert Capa, il sympathise avec lui. Capa lui confiera le développement et le tirage de quelques pellicules. Pour le remercier, Capa lui donnera un appareil photo, un Speed Graphic 4x5.
A l’automne 1943 son père et ses trois demi-sœurs, qui sont restés à Stalino en Ukraine, sont dénoncés en tant que juifs aux allemands. Ils sont jetés vivants dans un puits de mine. Ce drame le marquera profondément. A cette époque et jusqu’à la fin de la guerre, il est sur tous les fronts, de l’Est jusqu’à Berlin. Il présente ses photos comme un témoignage sur les horreurs de la guerre. Il acceptera par la suite toutes les propositions d’expositions mettant en avant un devoir de mémoire.
Il travaille ensuite dix ans pour l’agence Tass avant d’en être exclu en 1949 à cause de ses origines juives. Dès lors, il cesse de travailler pour le régime. Il travaille de 1949 à 1951 pour un journal syndical et fait des photos d’usines, d’enfants, d’écoles... De 1955 à 1959 il est engagé par la « Société des amitiés avec les peuples des pays étrangers » pour photographier des délégations officielles et des activités sportives. En 1959 il travaille pour la Pravda (la vérité en russe), le quotidien du parti communiste. Il est amené à voyager dans les républiques de l’Union Soviétique. En 1972 le nouveau responsable du personnel de ce journal déclare qu’il ne sera jamais tranquille tant qu’un juif travaillera pour ce quotidien. Tous les juifs qui travaillent à La Pravda sont licenciés. Des amis l’aident et lui trouvent quelques commandes, le moindre travail lui est nécessaire pour faire vivre sa famille. En 1991, la chute du communisme le pousse, à 74 ans, à confier une partie de sa vie à ses enfants. Il disparaît en 1997, oublié et méconnu, laissant des milliers d’images entassées dans des boîtes et des cartons.
Interview de Marc Grosset au café Le Rostand, par Olivier Barrot. Document Ina
Mark grosset (Auteur) est décédé le 14 août 2006, à l’âge de 49 ans
Evgueni khaldei (Photographe)
Parution : 06/10/2004
24 x 31, 184 pages, 150 photos
ISBN : 284 277548
Prix : 45 euros