Gerard Petrus Fieret au Bal
C’était en août 2004, à l’occasion de vacances passées aux Pays Bas et c’est par le plus grand des hasards que j’ai découvert Gerard Petrus Fieret. Pour les quatre-vingts ans de l’artiste le Fotomuseum de La Haye organisait une grande rétrospective en l’honneur de cette personnalité locale. J’avais été très impressionné par son travail non conventionnel. Cela faisait déjà pas mal de temps qu’il vivait comme un clochard. Il passait ses journées dans les rues de La Haye à nourrir des pigeons, animal qu’il appréciait et hébergeait chez lui en toute liberté. A mon retour je me lançais dans un article titré « Gérard Petrus Fieret un photographe hollandais méconnu en France ».
Douze années sont passées et si les noms de Rineke Dijkstra, Desiree Dolron ou Erwin Olaf ne nous sont pas inconnus, par contre celui de Fieret l’est encore. Le Bal présente jusqu’au 28 aout cette première monographie mondiale réalisée en dehors du pays natal du photographe. Voilà une initiative qu’il faut saluer, c’est un bel hommage à celui qui déclarait « Je fabrique de l’art visuel. Je trouve le mot « artiste » trop restrictif. ».
Et pourtant même s’il est absent des encyclopédies de la photographie, même si la page Wikipédia qui lui est consacrée est pratiquement vide, ses photos sont sur le marché de l’art américain et néerlandais depuis le début des années 2000. Il y a chez lui un concentré des grandes figures de la photographie contemporaine : il pratique l’autoportrait à grande échelle comme Cindy Sherman, il nous fait partager son intimité comme Nan Goldin, il se moque de la technique comme Mario Giacomelli ou Miroslav Tichý, il se met en scène avec des femmes comme Antoine d’Agata, il expérimente les images constituées de plusieurs photos encadrées comme Gilbert et Georges. Mais comme personne, il juge que toute photo doit être conservée.
Avec Fieret, pas de séries numérotées, pas de tirages bien léchés mais une sorte d’art but. Il fait avec les moyens du bord, ce qui explique, que parfois l’état de conservation des images est mauvais. En effet, à une époque où il faisait beaucoup de tirages, il habitait un local en sous-sol, sa chambre était son labo mais aussi sa cuisine et l’espace de vie de son chat aveugle. Comme l’évacuation d’eau n’était pas suffisante pour le débit de rinçage des épreuves, il pratiquait cette étape finale sur le trottoir, en plein air … II stockait ses négatifs dans des bidons en plastique, laissait son chat se promener sur les épreuves… Et puis Fieret est devenu paranoïaque. Dans un élan de folie, Il fallait qu’il tamponne ses images au recto, pour bien faire voir qu’elles étaient de lui. Fieret est excessif dans ses cadrages, dans le traitement des tirages, dans le nombre de tirages d’une même image, dans son obsession à appliquer son tampon violet un peu n’importe où. Il ne se soumet à aucun code, aucune règle, c’est ce qui fait toute la puissance de ses photos car chaque tirage devient unique.
Aussi c’est l’occasion de découvrir 160 tirages originaux de Gerard Petrus Fieret au Bal et de visionner dans un grand canapé, un film noir et blanc de Jacques Meijer où l’on voit Fieret, en pleine activité. A l’occasion de cette exposition Le Bal et Xavier Barral Éditions co-éditent le livre « Gerard Petrus Fieret ». Un livre très souple quand on l’a en main car le papier utilisé est très fin, un peu trop fin car les images du recto se voient en partie en transparence quand on tourne les pages. Cet effet est voulu par l’éditeur en référence au côté expérimental du travail de Fieret. On y lira avec intérêt les textes documentés et inédits de Wim van Sinderen, Violette Gillet, Francesco Zanot et Hripsimé Visser à propos de cet artiste inclassable.
– Le BAL expose Fieret à Paris du 26 mai au 28 août 2016 Toutes les informations sur le site du Bal