Francesca Woodman
Depuis le début des années 90, de nombreux spécialistes interprètent les images de cette jeune américaine qui a mis fin à ses jours en se défenestrant à l’age de 22 ans. Son univers étrange et sa fin tragique ont contribué à en faire une photographe culte dans monde de l’art. Comme Eugène Atget, sa notoriété n’est arrivée que post mortem et à son insu. Fille d’un couple d’artistes, Francesca Woodman avait pris l’habitude de se photographier depuis l’âge de treize ans en se mettant en scène. Attirée très jeune par la photographie, elle va suivre des études d’art qu’elle finalisera au Rhode Island School of design. Au cours de sa brève existence elle a développé un univers personnel qui mélange fantastique, introspection et érotisme. Le 19 janvier 1981, elle laisse derrière elle un peu plus de huit cents clichés. Totalement inconnue à la fin des années 70, elle est considérée par Chris Townsend (l’auteur de ce livre et maître de conférences au Department of Media Arts du Royal Holloway de l’université de Londres) comme une artiste manjeure de l’art américain des trentes dernières années.
Il est fréquent et tentant de classer des artistes dans des courants et d’associer leur travail à des mouvements sociaux. Dans les années 80 des féministes se sont senties proches de l’univers de Francesca Woodman (bien qu’elle apparaisse souvent totalement nue dans ses mises en scène) et se la sont appropriée comme étant l’une des leurs. La jeune femme a fait l’objet d’abondants articles et essais, on n’en dénombre pas moins de 75 à la fin de l’ouvrage. Ces analyses soulignent souvent une influence des surréalistes et du roman gothique dans son œuvre. Des critiques citent, par exemple une nouvelle de Charlotte Perkins intitulée « la chambre au papier peint », qu’ils mettent en vis à vis avec une série de photos de Francesca Woodman où elle disparaît dans les murs dissimulée dans des feuilles de papier peint. Même si la similitude est frappante rien ne vient prouver que la nouvelle a inspiré la photographe. Sur une image elle s’est entourée les jambes d’un ruban de plastique transparent qui fait ressortir la chair là où le ruban ne passe pas, elle a aussi posé un gant sur son sexe, nombreux y voient l’influence du surréaliste Hans Bellmer.
En partant de l’enseignement artistique qu’elle a suivi, des relations que ses parents entretenaient avec tel artiste, de la présence de tel ou tel élément dans ses compositions, elle est cataloguée à partir d’hypothétiques suppositions, parce que telle image renvoi à un univers connu du monde de l’art.
Nous avons affaire à une jeune fille très indépendante, d’une maturité surprenante pour son âge, qui se met à nu au sens propre du terme. Comme un peintre elle, compose ses images en réalisant au préalable des petits croquis. Sa composition est d’autant plus méticuleuse que c’est elle qui entre dans le champ de l’objectif, elle doit prendre des repères. Elle se met presque toujours en scène dans ses photos. Dans ce sens cette pratique ressemble à celle de Cindy Sherman qui, comme elle, explique ce choix par la facilité. Mais à contrario elle expose son corps nu de façon très naturelle, là où Cindy Sherman utilise des mannequins dans une ambiance dérangeante et malsaine. On a le sentiment que Francesca Woodman, s’est engagée dans une démarche narcissique de découverte de son corps, qu’elle visite à chaque prise de vue. Ce travail sur soi, ce besoin de se mettre en scène tourne à l’obsession, elle écrit dans son journal « Etre photographiée m’aide à être moi ».
Ses photos sont intemporelles car le décor ne donne pas d’indice sur l’époque de la prise de vue, ses compositions sont réalisées soit en décor naturel soit dans des intérieurs délabrés. Dans les années 70, les codes de la photographies imposaient un certain cadrage, une netteté irréprochable, les photographes faisaient du paysage, du reportage social, de la mode ou du nu, le regard de Francesca Woodman ne rentrait dans aucune catégorie. On peut évoquer l’autoportrait mais sa démarche semble plus proche de la « photo-thérapie », qui est à la fois un moyen d’exister, une addiction et un art.
Une fois le livre refermé, on se pose quelques questions :
– Ces images étaient-elles toutes destinées à être publiées, avait-elle envie de se mettre à nu devant tout le monde ? Ce sont ses parents qui gèrent les droits et vendent les originaux aux grands musées.
– Quelle est la part de sa démarche personnelle et celle des exercices qu’elle a effectués au cours de ses études ?
Comme ce livre présente plus de 250 photos et qu’elle en a réalisé presque 800, les 550 autres sont-elles toutes de même nature ?
– Qu’aurait-elle fait comme autres images si elle était encore vivante ? Quelle place aurait-elle dans le monde de l’art ?
Les photos de Francesca Woodman n’ont pas besoin d’explication et elle n’est plus là pour les donner, il faut les regarder avec leur part de mystère.
Exposée en 1998 à la Fondation Cartier puis au festival d’Arles la même année, les français n’ont eu la possibilité de revoir ses photos qu’en 2003 à la galerie Kamel Mennour, aussi saluons la publication de cet ouvrage sur cette photographe mythique qui ne figure pas dans l’ouvrage Le musée de la photo publié chez le même éditeur.
Francesca Woodman (Photographe)
Chris Townsend (Auteur)
Editeur : Phaidon Press Ltd (27 avril 2007)
Collection : photographie
Langue : Français
ISBN-10 : 0714897078
Prix : 75 euros