Diane Arbus
Il est toujours passionnant de connaître la vie d’un photographe pour mieux comprendre ses images, découvrir ceux et celles qu’il a côtoyés, fréquentés et admirés. Patricia Bosworth avait à peine 18 ans dans les années 50 quand elle a été choisie pour poser dans une publicité des bus Greyhound devant l’objectif du couple d’Allan et de Diane Arbus. Depuis elle est devenue journaliste, elle écrit pour Vanity Fair et le New York Times. Dans les quinze années qui vont suivre leur première rencontre, elle va croiser Diane à plusieurs occasions et décide à partir de 1978 de mener des entretiens avec l’objectif d’éditer sa biographie. On lui doit également les biographies de Montgomery Clift et de Marlon Brando.
En s’appuyant sur plus de deux cents entretiens qu’elle a réalisés entre 1978 et 1983, Patricia Bosworth retrace l’histoire d’une vie qui se lit comme un roman. A l’origine, ce livre a été publié en 1985 dans une édition américaine, il a été réimprimé en 1995. Cette traduction française est parue au début de l’année 2007 au Seuil dans un contexte commercial bien orchestré. En effet au cours de l’année 2006 on a pu voir à Londres et à Barcelone une grande rétrospective de l’artiste et surtout la sortie du film Fur (fourrure) de Steven Shainberg. Nicole Kidman y interprète le rôle de la photographe dans une sorte d’imposture car le titre complet du film est « Fur : Un portrait imaginaire de Diane Arbus ». Le spectateur est prévenu, ici, Steven Shainberg invente de toute pièce un épisode de la vie de Diane Arbus où elle fait une rencontre déterminante pour sa carrière avec un monstre velu. La sortie de ce film a été également l’occasion d’une réédition chez Perrin de l’ouvrage épuisé de Patrick Roegiers « Diane Arbus ou le rêve du naufrage » dont la première sortie remonte à 1985.
Le livre de Patricia Bosworth est à l’opposé du film de Steven Shainberg car il se veut une retranscription exacte de la vie de Diane Arbus. L’auteur a rencontré sa mère, son frère, Lisette Model qui est sa référence photographique et sa confidente ainsi que de très nombreuses personnes qui l’ont côtoyée. Par moment on peut suivre pratiquement au jour le jour l’existence de Diane Arbus. Le talent de Patricia Bosworth réside dans sa façon de recoller de façon très cohérente les épisodes qui fourmillent de détails, rapportés par les uns et les autres.
Les amateurs de photos seront déçus dans le sens où aucune photo prise par Diane Arbus ne figure dans le livre. Le fonds Arbus s’est opposé à toute reproduction d’image. Doon sa fille et son exécutrice testamentaire, a refusé de participer à cette biographie justifiant que : « L’oeuvre parle d’elle même ». Il en fut de même avec son autre fille Amy et leur père Allan Arbus ainsi que Marvin Israël, qui eut énormément d’influence sur elle dans la dernière période de sa vie.
Dans ce contexte particulier Patricia Bosworth nous conte l’histoire de la jeune Diane Nemerov, née à New York en 1923 dans une riche famille juive qui fait commerce de fourrures. Enfant surdouée, sa carrière est toute tracée par ses parents, enfant rebelle elle suit une formation artistique, ses professeurs lui prédisent un bel avenir de peintre. Très attachée à son frère avec qui elle partage une sensibilité hors norme, elle est courtisée par Alex mais tombe amoureuse d’Allan à 14 ans. Ils se marient, fondent un studio de photo de mode, ont des enfants. L’univers de la mode ne lui plait pas, elle a toujours été attirée par des gens atypiques, enfant elle s’amuse avec une amie à suivre dans le métro une clocharde pour découvrir où et dans quelle condition elle vit. Venant d’un milieu très protégé elle est à la recherche de la transgression, de la mise en péril comme une adolescente en opposition avec ses parents.
Diane va s’intéresser à un cirque composé de montres de foire, femme à barbe, nain, géant, cracheur de feu... qui donnera naissance à sa série « freaks ». Le plus important pour elle est la relation qui passe entre le photographe et la personne photographiée. Elle n’hésite pas à sortir la nuit à la recherche de personnages étranges qui échouent dans les parcs ou les quartiers déshérités.
Quand Allan la quitte elle se retrouve seule à assumer les revenus de sa famille, elle ne cesse de courir après des commandes mais refuse parfois que son nom apparaisse sous ses photos. Payée deux fois moins que ces collègues hommes, elle tire le diable par la queue. Elle enchaîne commandes et périodes dépressives. Elle partage quand elle en a besoin, le studio de Richard Avedon qui a pris comme assistante sa fille Doon.
Son regard sur le monde des gens pas ordinaires choque, certains y décèlent du voyeurisme, l’image de l’homme dans son imperfection, ses malformations et provoque plus de rejet que d’empathie. Quand ses « freaks » sont exposés en 1967 au Musée d’art moderne de New York à coté des images de Lee Friedlander et Garry Winogrand, des visiteurs crachent sur ses photos, elle est profondément blessée. Elle se confie à Lisette Modèle avec qui elle a suivi des cours de photographie et qu’elle considère comme son maître et son amie.
Elle poursuit son travail personnel grâce à des bourses, elle s’immerge nue dans un camp de nudistes, puis tente la rencontre avec des enfants internés dans un hôpital psychiatrique. Constamment à la recherche d’expérience, de rencontres, elle photographie des partouzes, y participe parfois. Elle parle de sa sexualité avec le premier venu, multiplie les partenaires et les expériences.
La petite fille précoce qui haïssait le milieu d’affaires de ses parents est devenue seule, par sa force et sa détermination, une figure de la photographie américaine en inventant un style documentaire nouveau qui s’est imposé dans le monde de l’art. On sent bien son besoin de reconnaissance qui la pousse parfois à s’en remettre totalement à l’avis de personnes qu’elle admire sans borne, comme le fut Allan son mari puis Marvin Israël, ancien directeur artistique d’Harper’s Bazaar et peintre.
Sa notoriété ne lui donne pas pour autant les moyens financiers pour vivre sereinement, Diane Arbus alterne des périodes dépressives graves et finit pas se suicider le 26 juillet 1971. En 1972 le MOMA lui consacre une grande rétrospective. Elle est, cette même année le premier photographe américain a être présenté à la Biennale de Venise. Au cours de ces 414 pages on rencontre aussi des photographes comme Richard Avedon, Hiro, Robert Franck, Walker Evan, Lee Friedlander, Joel Meyerowitz, Bruce Davidson et c’est un réel plaisir que de pouvoir situer certains épisodes de leur vie quand ils ont croisé le chemin de Diane Arbus.
Un documentaire de 30 minutes en anglais, de 1972 avec Doon Arbus
Diane Arbus
Patricia Bosworth (Auteur)
Broché : 439 pages
Editeur : Seuil (4 janvier 2007)
Collection : BIOGRAPHIE
Langue : Français
ISBN-10 : 2020882124
Prix : 22 euros