DPRK
Depuis quelques mois la Corée du Nord est sous les feux de l’actualité. Le régime de Kim Jong-il est soupçonné de fabriquer des faux dollars pour faire face à des crises économiques endémiques. En juillet 2006 le régime de Pyongyang défiait la communauté internationale en procédant au tir de sept missiles à moyenne et longue portée. La tension est devenue encore plus pesante depuis l’annonce du premier essai nucléaire souterrain nord-coréen le 9 octobre dernier. Pour les occidentaux, la Corée du Nord est une contrée fermée et mystérieuse. Nous n’avions aucune référence picturale sur ce pays, c’est maintenant chose faite depuis que Philipe Chancel à réalisé DPRK.
Philippe Chancel s’intéresse aux "guerres froides" en opposition aux terrains de bataille. Il a commencé dans les années 80 à réaliser en tant que photojournaliste des reportages sur la Pologne, la Roumanie et l’URSS. Depuis, il a abandonné son travail de reporter pour se rapprocher d’artistes plasticiens et il a notamment réalisé Regards d’artistes, un ouvrage rassemblant ses portraits d’artistes contemporains.
C’est cette passion pour ces pays de l’interdit qui a été à l’origine de ce livre. Philippe Chancel a proposé un projet officiel aux autorités nord-coréennes en compagnie de Jean-Pierre Raynaud, un artiste français, connu pour ses pots de fleurs (une de ses oeuvres monumentale trône sur le parvis de Beaubourg), qui réalise également un travail sur les drapeaux. L’œil vigilant remarquera qu’au marteau et à la faucille soviétiques, la Corée du Nord a ajouté un pinceau, signe distinctif qui marque son intérêt pour les arts. C’est probablement en raison de cet affichage que les deux artistes ont été accueillis par "l’état ermite", qualificatif donné à la Corée du Nord par les observateurs avertis. Dans ce pays, le tourisme se pratique uniquement dans le cadre de voyages organisés. Philippe Chancel a bénéficié d’un statut particulier qui lui a permis au cours de ses trois voyages entre fin juillet 2005 et avril 2006 de se déplacer avec un chauffeur et une traductrice dans la capitale mais également dans le nord et le sud du pays. Il a assisté aux célébrations d’Arirang, fête nationale qui prend la forme d’un spectacle, où des milliers d’étudiants interprètent des tableaux vivants dans un immense stade de la capitale. Cet événement est célébré en l’honneur de l’anniversaire de Kim Il-Sung fondateur du régime en place et décédé depuis 1994 (c’est son fils Kim Jong-il qui est au pouvoir depuis cette date). Kim Il-Sung bénéficie d’un statut de président éternel, et comme le souligne Jonathan Fenby qui a rédigé l’introduction de cet ouvrage, cette situation fait de la Corée du Nord l’unique pays présidé par un homme mort.
Les photos de Philippe Chancel nous montrent un univers très ordonné, où presque tout le monde arbore un insigne à l’effigie du président éternel. L’architecture stalinienne avec ses hauts plafonds, ses colonnes, ses marbres et ses couleurs sombres nous plonge dans une atmosphère sans chaleur, lisse et d’une autre époque. La photo numérique où le grain est absent renforce cet aspect d’uniformité, de dépersonnalisation, de superficiel et d’intemporel. Les grandes avenues, faute de voitures sont pratiquement désertes. Dans le hall de l’aéroport les panneaux d’affichage des arrivées et des départs sont muets pour cause d’absence d’échange avec le monde.
A l’école les enfants portent un uniforme tout comme les sportifs dans les stades, l’uniforme est aussi revêtu par les hôtesses d’accueil des hôtels et le personnel de l’aéroport, l’organisation militaire semble omniprésente. Cette impression est renforcée car le dirigeant et sa femme apparaissent souvent en tenue militaire dans les portraits officiels. Nous avons l’impression d’avoir à faire à une gigantesque armée aux ordres d’un tortionnaire maniaque (la Corée du Nord compte plus de vingt trois millions d’habitants). Philippe Chancel nous montre donc un pays uniforme où il n’y pas de place pour l’originalité, l’excentricité, l’identité. Comme sous Mao ou Staline, seul est mis en avant le culte des dirigeants : le père et le fils, dont les portraits sont systématiquement accrochés en haut des murs, presque au ras du plafond. Leurs portraits prennent une dimension religieuse, tel un dieu au-dessus de tout, qui veille sur ses sujets qui lui doivent respect.
Il suffit de se rendre sur le site internet d’Amnesty International pour prendre la mesure des outrances de ce régime en matière de liberté d’expression, de droit à la nourriture, de torture et de mauvais traitements. Philippe Chancel montre dans presque toutes ses images la mainmise de cette dictature sur l’homme, il est en effet difficile de trouver une photo où le portrait de Kim Il-Sung, de son fils ou une marque du régime ne sont pas présents. Dans le cadre de sa démarche artistique, le photographe à du rende compte de son travail aux autorités nord-coréennes. Il est surprenant qu’elles n’aient pas vu là, le revers de leur régime mais un monde qui leur est habituel et politiquement correct. Cet ouvrage donne un éclairage particulièrement intéressant sur un pays dont nous ignorions presque tout. DPRK (République populaire démocratique de Corée) est l’un des meilleurs livre photo de l’année 2006.
Philippe Chancel (photographe)
Michel Poivert, Jonathan Fenby (auteurs)
Relié : 206 pages
Editeur : Thames & Hudson (sortie le 19 octobre 2006)
Collection : Beaux livres
Langue : Français
ISBN : 2878112849
Dimensions (en cm) : 31 x 2 x 28
Prix : 50 euros