Brassaï l’universel
Les éditions Taschen qui s’étaient lancées il y a quelques années dans une série d’ouvrages sur les grands photographes, continuent avec une nouvelle formule à petit prix (moins de 15 euros) et tout autant illustrée. Les livres sont de plus petite taille (19,6 cm x 24,5 cm), la couverture est souple et agréable au toucher. On comprend que pour des raisons de coût et de grande diffusion, ils sont écrits en trois langues : anglais, allemand et français. Les titres parus à ce jour concernent : Karl Blossfeldt, Edward S Curtis, Edward Weston et Brassaï. Les éditions Taschen ont fait appel à Jean-Claude Gautrand (né en 1932) pour rédiger les textes concernant Brassaï. Ce journaliste, historien de la photographie, commissaire d’exposition et photographe a publié de nombreux ouvrages dont plusieurs ont connu un grand succès chez Taschen (Paris mon amour, et tout récemment une monographie sur Doisneau dans la petite collection Icons). Jean-Claude Gautrand prépare un livre sur Willy Ronis, chez cet éditeur pour le début de l’année 2005.
Gyula Halaz, qui se fera appeler Brassaï, est né à Brasso en Hongrie en 1899. Il vient vivre en France en janvier 1924. Il sera journaliste, dessinateur, sculpteur, écrivain, cinéaste. Ce sont ses photographies de Paris la nuit qui le feront connaître dans le monde entier. En 1926, il fait la connaissance d’un compatriote, le célèbre photographe André Kertèsz dont les photos illustreront certains articles que Brassaï rédige pour un journal hongrois et des magazines allemands. Il l’accompagne dans ses pérégrinations nocturnes. Il fréquente les artistes et le milieu des surréalistes et fait ses premières photos en 1929. Il publiera ses premières images en 1932 dans l’ouvrage intitulé « Paris la nuit ». Pendant la seconde guerre, il est sollicité par les allemands mais refuse de demander une autorisation de photographier aux autorités d’occupation et arrête son activité de photographe de rue. Cette situation le conduira, entre 1943 et 1946, à prendre en photo les sculptures de Picasso et à se lier d’amitié avec lui. Il publiera en 1964 « Conversations avec Picasso ». Il réalisera par la suite des reportages à l’étranger. En 1968 le musée d’art moderne de New York lui consacre une exposition rétrospective qui fera le tour du monde jusqu’en 1974. Son « Paris secret des années 30 » ne sera révélé au public qu’en 1976, il y met en lumière le monde interlope de la nuit parisienne des travestis, prostituées et voyous... Il décède en 1984 à Beaulieu-sur-Mer. Il est enterré au cimetière du Montparnasse, son quartier de prédilection, où il fréquentait les surréalistes. Fin 2002, sa femme donnera 35 000 négatifs au Centre Georges Pompidou.
Cette monographie n’est pas chronologique, elle est intelligemment présentée en chapitres thématiques : Du côté du Minotaure : les images chères aux surréalistes. Paris la nuit : brumes hivernales, pavés luisants et reflets dans la Seine. Paris secret : les bordels de Paris. Visions de jour : paysages urbains, le spectacle de la rue. Artistes de ma vie : portraits des peintres écrivains qu’il a côtoyés. Graffiti et transmutations : les paroles et expressions des murs.
Pour John Szarkowski ancien directeur du musée d’art moderne de New York, Brassaï est un « descendant » d’Atget. Une question me taraudait : Brassaï a-t-il connu Atget ? Sachant qu’Atget est décédé en août 1927, qu’il a été exposé pour la première fois à New York en 1931 et que Brassaï a fait ses premières photos en 1929, il y avait assez peu de chance qu’ils se soient connus. J’ai posé la question à Jean-Claude Gautrand qui s’est longuement entretenu avec Brassaï. Brassaï aurait rencontré une fois Atget dans un bar de Montparnasse. On est bien loin des rapports qu’il a pu entretenir avec Picasso.
Brassaï aime à diriger l’œil du spectateur sur ce qu’il faut voir. Son ami Henry Miller dira de lui « Brassaï est un œil vivant ... ses yeux ont cette véracité qui étreint tout et qui fait du faucon et du requin la sentinelle frémissante de la réalité. ». Contrairement à Atget, il prend beaucoup de gens en photos. Ses sujets, il les aime, il n’hésite pas à les mettre en scène comme Doisneau a pu le faire également. Brassaï sait aussi saisir l’instant où les visages d’un couple d’amoureux se rapprochent, l’instant avant que les lèvres ne se frôlent, l’instant où les yeux ouverts de l’homme et les yeux de la femme qui se ferment, se reflètent dans un jeu miroir. C’est aussi un reporter, un témoin, un sociologue, un poète. Ce livre contient des icônes ancrées dans notre inconscient mais également des images moins connues que l’on a plaisir à découvrir ou à revoir.
Taschen (Editeur)
Jean-Claude gautrand (Auteur)
Brassaï (Photographe)
19,6 cm x 24,5 cm,193 pages, 175 photos
ISBN : 3-8228-313
Prix : 15 euros