Bernd et Hilla Becher, les entomologistes du patrimoine industriel
Il y a des photographes qui passent leur vie à photographier des femmes nues, d’autres, les champs de bataille, les peuples déplacés. Bernd et Hilla Becher ont entrepris depuis la fin des années 50 de photographier des bâtiments industriels, châteaux d’eau, gazomètres, chevalements, silos à charbon, tours de refroidissement, hauts-fourneaux et maisons ouvrières. Tous deux sont nés en Allemagne de l’Est. Ils commencent par faire un inventaire de maisons d’ouvriers en 1959 à Seigen, puis des installations industrielles du bassin de la Ruhr. Ils ne se cantonnent pas seulement l’Allemagne, ils vont explorer aussi la Lorraine, la Belgique, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.
Ce travail de recensement du patrimoine industriel intéresse dans un premier temps le milieu des ingénieurs et historiens spécialisés. Cette démarche documentaire est comparable à celle d’Atget qui arpentait les rues de Paris photographiant les devantures de magasins, les enseignes, les affiches, cours, ruelles et rues.
Bernd et Hilla Becher ont sillonné les grands pays industriels à la recherche des usines désaffectées, des mines abandonnées. Leur objectif est de garder des images de ce passé industriel voué à la démolition. Ces bâtiments et installations ont été conçus par des architectes et des ingénieurs anonymes dans un but utilitaire, sans souci d’esthétique.
Bernd Becher ouvre en 1976 la première classe de photographie artistique à l’école des beaux-arts de Düsseldorf. Il a parmi ses élèves, Andreas Gursky, Candida Höfer, Thomas Ruff, Thomas Struth, qui sont depuis, devenus des artistes reconnus de la création photographique contemporaine.
Ce travail de recensement va être alors considéré comme un projet artistique et nombre de collectionneurs vont acquérir leurs œuvres.
Les photos sont en noir et blanc, les tirages 30x40 sont utilisés pour des compositions typologiques, par exemple une série de châteaux d’eau. Les compositions peuvent regrouper des séries de neuf à seize photographies ou plus. Il existe également des 50x60 pour répondre à une demande des galeries afin de présenter des images en dehors des séries typologiques.
Individuellement certaines photos paraissent anodines voir ordinaires, leur force réside dans la multiplicité d’images d’un même type. On a l’impression que les gazomètres se ressemblent. En réalité ils sont toujours différents. Qu’ils datent des années 60 ou des années 90, le néophyte ne le verra pas. La petite différence que l’on ne remarque pas au premier abord, donne toute la puissance à l’ensemble. Ces bâtiments sont arrivés en fin de vie, ils sont tombés en désuétude. Abandonnés des hommes, ils sont aussi le symbole de l’activité humaine qui a souvent épuisé les ressources minérales, pollué l’air et le sous-sol.
Les prises de vue sont réalisées suivant un protocole immuable. Les châteaux d’eau sont centrés au milieu de l’image, la ligne d’horizon est à ¼ de l’image, le téléobjectif est leur focale de prédilection, l’ouverture est très faible afin d’obtenir une grande profondeur de champs. Les Becher préfèrent l’hiver car il n’y a pas de végétation ce qui permet de bien dégager le sujet. On ne voit jamais une présence humaine sur ces photos, le ciel est uniforme, ils attendent parfois un léger brouillard pour que le bâtiment se dégage mieux du fond. Le temps de pose est de vingt secondes pour chaque prise de vue. Ils opèrent avec un trépied et une chambre à plaque avec un négatif 13x18. Pour les hauts-fourneaux, le mode opératoire est différent, ils se mettent en hauteur par rapport au sujet et utilisent un grand angle.
Il est rare de voir des photos signées de deux personnes, en l’occurrence le mari et sa femme. Chaque photo est une réalisation collective, qui l’a faite ? Qui en est à l’origine ? Qui a appuyé sur le déclencheur ? Nous ne le saurons pas.
Cette exposition est la plus grande rétrospective de Bernd et Hilla Becher jamais présentée en France. Elle représente quarante années de travail et comprend des centaines d’images. La variété des formes pour une même typologie prête parfois à sourire, tant l’homme peut avoir d’imagination pour habiller un réservoir en château d’eau...
Les photographes
Bernd Becher est né en 1931 à Siegen, dans une région fortement industrialisée. Hilla, quant à elle, est née à Potsdam, en Allemagne de l’Est, et elle découvre la Ruhr après la guerre.
Conscients de la beauté et de la fragilité des bâtiments industriels, ils commencent à les photographier ensemble dès 1959. « Les objets qui nous intéressent ont en commun d’avoir été conçus sans considération de proportion et de structure ornementales. Leur esthétique se caractérise en ceci qu’ils ont été créés sans intention esthétique. L’intérêt que le sujet a, à nos yeux, réside dans le fait que des immeubles, à fonction généralement identique, se présentent avec une grande diversité de formes. Nous essayons de classer et de rendre comparables ces formes au moyen de la photographie... » expliquaient Bernd et Hilla Becher en 1969.
Un catalogue de 100 pages est disponible au prix de 15,90 euros. Cette exposition est organisée par le K20K21, Kunstsammlung Nordrhein-Westfalen à Düsseldorf, dans le cadre du Mois de la Photo à Paris.
Informations Pratiques
Centre Pompidou : galerie sud - niveau 1
Dates : du 20 octobre 2004 au 3 janvier 2005
Horaires : tous les jours, sauf le mardi, de 11h à 21h, fermeture des caisses à 20h, fermeture des salles à 20h50
Tarifs exposition : 7 euros, tarif réduit : 5 euros
Métro : Rambuteau ou Hôtel de Ville
Téléphone : 01 44 78 12 33
http://www.centrepompidou.fr