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Le front populaire des photographes

Pour fêter les 70 ans du front populaire, trois passionnés de photo (Françoise Denoyelle, François Cuel et Jean-Louis Vibert-Guigue) ont réuni près de 200 images sur cette période de grands changements et de mouvements sociaux. Cette période est habituellement présentée comme une parenthèse de joie de vivre entre les suites de la crise de 1929 et la déclaration de guerre de l’Allemagne nazie. On assiste en parallèle à une révolution de la presse écrite qui se met à utiliser rapidement et abondamment des photographies (il n’y a qu’une centaine de postes de télévision en France en 1937). De jeunes photographes donnent une autre dimension à la photo de presse, armés de leur Rolleiflex ou de leur Leica ils sont dans l’action, en empathie avec ceux qu’ils photographient.

Emmanuel Sougez qui était alors responsable de la photographie à la revue conservatrice l’illustration, était connu comme un défenseur d’une certaine photographie française. Il s’élevait contre l’invasion des immigrés qui ne connaissaient pas le métier. Ces propos visaient des gens comme Capa, Seymour et Kertez...
Il suffit de mettre les images les unes à coté des autres, d’un côté nous avons des photos où les personnes sont figées, elles posent à la demande d’un photographe qui dirige la mise en scène d’une façon protocolaire, de l’autre côté nous avons des gens en mouvement, en vie avec des cadrages originaux.
On assiste également à une évolution dans la mise en page des revues, qui n’hésitaient pas à masquer à la gouache le groupe qui entourait une personnalité afin de la faire ressortir comme un portrait dessiné, la photo commence à prendre une véritable autonomie. Elle est plus qu’une simple illustration, elle devient un outil de communication politique.

Ce livre est aussi l’occasion de découvrir des images de la collection de la famille de Jean Zay, ministre de la santé du front populaire et maire de Suresnes qui prônait les bienfaits de l’air, du soleil, de l’hygiène et de la mixité qu’il avait mis en pratique à « l’école de plein air » de Suresnes.

A cette époque, le nom du photographe qui travaille pour une agence ne figure pas dans la légende de l’image, seul le nom de l’agence est présent. C’est en réaction à ce type de pratique que Capa, Seymour, Henri Cartier-Bresson et Rodger fonderont à la fin de la guerre l’agence Magnum.
En 1936 Willy Ronis en quête de revenus, bat le pavé et se constitue un fond photographique pour répondre à la demande des journaux. Robert Capa et David Seymour couvrent la guerre d’Espagne et les occupations d’usines.
Au cours de l’été Henri Cartier Bresson se balade sur les bords de la Marne et capte les premiers congés payés avec des gens allongés sur l’herbe et d’autres qui pique-niquent. La semaine de 40 heures et les 15 jours de congés payés mettent aussi le corps à l’honneur. Abimé par l’usine et enfermé dans le bleu de travail, il est érotisé par Pierre Boucher qui le libère avec ses images de plongeur et d’initiation au canoë, menés par une jeune femme avenante. Pendant ce temps, Julien Duvivier tourne « La belle équipe », film emblématique de cet esprit front populaire, où un groupe de chômeurs créent une guinguette après avoir gagné à une loterie. Jean Gabin est à l’affiche et Sam Levin est photographe de plateaux. Gabin dans la même veine incarnera l’ouvrier dans « La bête humaine » de Jean Renoir et « Le jour se lève » de Marcel Crané, Raymond Voinquel le photographe de plateau utilise les éclairages du chef opérateur Curt Courant pour réaliser de très belles images.

Cet ouvrage est un livre d’histoire très vivant et un outil d’analyse intéressant sur le statut de la photographie de cette époque. On aimerait savoir, mais on ne le saura probablement jamais qui était le photographe de l’agence Keystone qui a fait les superbes images présentées dans ce livre. La consigne qui était donnée aux photographes de Keystone était « que la photographie devait dégager une grande énergie susceptible de lancer un article », consigne que Capa et Seymour appliquaient intuitivement. L’exposition qui se déroule sur les bords de Marne prend fin le 30 juillet, le livre permet de profiter plus longuement de ces photos.

Terrebleue (Editeur)
Françoise Denoyelle (Auteur)
Francois Cuel (Auteur)
Jean-Louis Vibert-Guige (Auteur)
Denise Bellon (Photographe)
Pierre Boucher (Photographe)
Robert Capa (Photographe)
Henri Cartier-Bresson (Photographe)
David Seymour (Photographe)
André Kertész (Photographe)
François Kollar (Photographe)
Sam Levin (Photographe)
Walter Limot (Photographe)
Boris Lipnitzki (Photographe)
Éli Lotar (Photographe)
André Papillon (Photographe)
Willy Ronis (Photographe)
Raymond Voinquel (Photographe)
Parution : 1 mai 2006
Format : Relié
224 pages, 200 photos noir et blanc
ISBN : 2909953092
Dimensions (en cm) : 24 x 3 x 32
Prix : 38 €